Mardi de 10h à 12h
Liberté d'expression et censure
Jean-Baptiste AMADIEU
Revendiquée par les philosophes des Lumières, garantie par la Déclaration des droits de l'Homme sous certaines conditions, la liberté d'expression s'est progressivement imposée comme une liberté fondamentale. Les limites qu'on a pu lui imposer semblaient définitivement discréditées au milieu des années 1960, si elles n'avaient connu un regain récent à travers ce que l'on nomme les "nouvelles censures". Si celles-ci prennent l'aspect conventionnel des limites juridiques (interdiction des discours d'incitation à la haine, au terrorisme, à la diffamation, à diverses violences), ces censures se singularisent
1) par leur privatisation : les réseaux sociaux et les internautes exercent désormais une
"modération" sur leur page électronique ou leur site ;
2) par leur intériorisation : cette censure n'est pas ressentie comme un pouvoir, encore moins comme un abus de pouvoir, mais comme un exercice naturel, citoyen, responsable, voire indispensable ;
3) par le renouvellement de leurs motivations : ce n'est plus au nom de la moralité, mais du vivre ensemble et de la protection des dominés socialement que s'exercent ces limitations à l'expression publique ;
4) par leur extension prise à l'initiative des particuliers ou des associations par l'ostracisme social, les pétitions, les blocages, les appels aux boycotts des discours qui semblent nuisibles. Ces nouvelles censures apparues dans les vieilles démocraties sont-elles un signe de maturité après le bouillonnement libéral, ou une simple mode passagère, ou encore un changement philosophique plus profond remettant en cause l'idéal d'autonomie intellectuelle ?